Histoires d'aberrations (La grande anthologie du fantastique)

Voici de nouveau un ouvrage que j’avais trouvé un peu « par hasard » chez un bouquiniste il y a de cela déjà un moment (je lis rarement les livres dans l’ordre chronologique où je me les procure). Il s’agit en fait d’un recueil membre d’une collection de 10 volumes, pour le moins ambitieuse, puisque tentant d’effectuer une anthologie du fantastique.

Histoires d'aberrations (couverture)

7ᵉ volet de cette anthologie, le présent recueil est consacré aux « aberrations », ce qui signifie dans le sens de ses auteurs toutes les formes d’anomalies spatiales ou temporelles vécues et fantasmées : espaces / objets qui disparaissent, se distordent ou encore voyages temporels.

Si j’en juge à la lecture des textes de ce volume ainsi qu’à la liste des textes présents aux sommaires des autres recueils, les auteurs de l’anthologie ont manifestement voulu élargir au maximum le champ du style « fantastique ».

Mais il est vrai que la thématique des « aberrations » prédispose à s’éloigner du fantastique le plus classique pour aller flirter avec la science-fiction ou encore le roman psychologique. Ceci dit, si l’effet recherché est de provoquer l’angoisse, cela n’a rien d’étonnant et l’on trouve déjà cela chez les précurseurs du genre (Hoffmann, Gautier, Poe…).

En tous cas, le résultat est très satisfaisant, car malgré le fait que les textes tournent tous autour d’une thématique centrale, je n’ai ressenti aucune impression de redondance, chacun des textes choisis en proposant une facette différente.
J’ai apprécié ce côté éclectique d’autant plus que la majorité des textes sont de grande qualité.

Les auteurs ont donc correctement accompli leur mission en recensant des perles du genre avec une grande ouverture d’esprit, laissant aussi bien place à des textes très connus, qu’à d’autres plus confidentiels.

Un point positif aussi à mes yeux est de ne pas avoir assommé le lecteur en commentant les textes à tort et à travers, mais en se contentant d’une courte introduction à chaque nouvelle.

Bref, si par bonheur d’autres volets de cette anthologie me tombent sous la main dans l’avenir, je n’hésiterais certainement pas à les parcourir.

Voici la liste des textes que vous pourrez lire dans ces « Histoires d’aberrations » :

  • « La Cour de Canavan » de Joseph Payne Brennan.
  • « Le Numéro 13 » de Montague R. James.
  • « Ouvrir la porte » d’Arthur Machen.
  • « La Ruelle ténébreuse » de Jean Ray.
  • « Les Rêves dans la maison de la sorcière » de H.P. Lovecraft.
  • « L’Outil » de W.F. Harvey.
  • « Le Diamant de l’herbe » de Xavier Forneret.
  • « Chaleur d’août » de W.F. Harvey.
  • « Gradiva » de Wilhelm Jensen.
  • « Fin d’un amour » d’Alain Dorémieux.
  • « La Chambre perdue » de Fitz James O'Brien.
  • « Auto-escamotage » de Richard Matheson.

Comme à mon habitude, je vous propose ci-dessous deux morceaux choisis du recueil.

Tout d’abord un extrait de « La Ruelle ténébreuse » de Jean Ray, une nouvelle revisitant le mythe du pacte infernal :

Trois petites portes jaunes dans le mur blanc…
Au-delà du coude de la ruelle, les viornes continuaient à mettre du vert et du noir parmi les pavés, puis les trois petites portes parurent, se coudoyant presque et donnant, à ce qui aurait dû être singulier et terrible, l’aspect puéril d’une rue de béguinage flamand.
Mes pas sonnaient très clairs dans le silence.
Je frappai à la première des portes ; seule la vie vaine de l’écho s’éveilla derrière elle.
La ruelle s’allongeait de cinquante pas vers un nouveau coude.
L’inconnu ne se découvrait qu’avec parcimonie, et ma part de découverte d’aujourd’hui n’était que deux murs pauvrement blanchis au lait de chaux et ces trois portes. Mais toute porte close n’est-elle pas en elle-même un mystère puissant ?
Je frappai, de coups plus forts, le triple huis. Les échos partaient à grand bruit et bouleversaient, les confuses rumeurs, les silences tapis au fond de prodigieux corridors. Parfois, ils semblaient imiter des pas très légers, mais ce furent les seules réponses du monde enfermé.
Il y avait des serrures comme à toutes les portes que j’ai l’habitude de voir. Le soir de l’avant-veille, j’avais passé une heure à ouvrir celle de mon appartement avec un fil de fer tordu, et c’était aisé comme un jeu.
J’avais un peu de sueur sur les tempes, un peu de honte au cœur. Je sortis de ma poche le même crochet et le glissait dans la serrure de la première petite porte.
Et, comme celle de ma chambre, très simplement, elle s’ouvrit.

Puis un extrait de « Auto-Escamotage » de Richard Matheson qui est sans doute une des nouvelles les plus angoissantes, puisqu’on y suit la rapide et inexorable annihilation de la vie du personnage :

Je ne sais pas quoi faire. J’ai passé la journée assis à la fenêtre observer la rue. Je guettais le moindre visage connu. Mais il n’y avait rien que des étrangers.
Je n’ose pas quitter la maison. Elle est tout ce qui me reste. Avec nos meubles et nos vêtements.
Je veux dire mes vêtements. Son placard à elle est vide. Je l’ai ouvert ce matin à mon réveil et il n’y avait pas un mouchoir. C’est comme un tour de prestidigitation, un escamotage – comme…
Je me suis contenté de rire. Je dois être…
J’ai appelé le magasin de meubles. Il est ouvert le dimanche après-midi. On m’a dit qu’il n’y avait aucune commande de lit à mon nom. Si je voulais venir vérifier ?
Je suis revenu à la fenêtre.
J’ai pensé à appeler ma tante de Detroit. Mais je suis incapable de me rappeler le numéro. Et il n’est plus dans le répertoire. Le répertoire entier est vide. Il ne reste plus que mon nom en lettre d’or sur la couverture.
Mon nom. Rien que mon nom. Que dire ? Que faire ? Facile. Rien à faire.
J’ai feuilleté l’album de photos. Presque toutes les photos ont changé. Elles ne représentent plus personne.
Mary n’y est plus, ni nos parents, ni nos amis.
De quoi rire.
Sur la photo de mariage je suis assis, tout seul, à une immense table couverte de mets. Mon bras gauche est étendu et courbé pour enlacer une mariée fantôme. Et, autour de la table, il y a des verres qui flottent dans le vide.
Qui me portent un toast.