Honoré de Balzac « La fille aux yeux d'Or » et « Le Père Goriot »

La lecture consécutive de ces deux textes m’a introduit dans l’œuvre immense et inachevée de Balzac et par là m’a permis de goûter au génie d’un des auteurs les plus renommés de la littérature française, manifestement à juste titre !

La fille aux yeux d’Or (Honoré de Balzac) en livre de poche

Je dois dire que ce premier contact avec sa « Comédie Humaine » a déjà fait de moi un converti et je n’imagine pas ne pas continuer mon exploration de son univers littéraire, tant son style m’a enthousiasmé !

Avec ces deux nouvelles, j’ai pu découvrir deux facettes différentes de son œuvre.

« Le Père Goriot » est sans doute un très bon exemple du style principal de l’auteur, dit « roman réaliste », quand « La fille aux yeux d’Or » démontre un Balzac tout à fait capable de donner dans un style beaucoup plus lyrique, le récit d’un amour passionné et tourmenté se prêtant à l’exercice.

Mais bien que ces deux textes semblent s’opposer sur la forme, j’y ai trouvé quelques traits communs qui sont peut-être une des marques de fabrique de Balzac.

Je pense notamment à la mise en scène de « héros » que je qualifierais volontiers de « nietzschéen » avant la lettre, dans le sens où ces personnages se distinguent de leurs semblables n’ont par des valeurs morales, mais par leur volonté même de sortir du lot en créant leurs propres règles.

En effet, que cela soit Henri de Marsay d’un côté, Eugène de Rastignac et Vautrin de l’autre, ses héros semblent encore moins « purs » par leurs sentiments que ne le sont par exemple ceux de Stendhal ou Voltaire.

Pour autant ils se distinguent des autres personnages les environnant, car moins banals, moins ordinaires, moins insignifiants… Leurs contradictions, leurs emportements, leurs attitudes orgueilleuses… leur font fatalement gagner leurs lettres de noblesse.

On peut effectivement parler chez eux de noblesse d’esprit, d’instinct de différenciation ou encore de volonté de transcendance par-delà bien et mal.
Et on se prend donc à trouver sympathiques des personnages qui pourtant par certains traits pourraient nous déplaire, nous agacer.
C’est là que la magie de la littérature (et de l’art) s’opère en sublimant le réel, pour rendre admirable et même fascinant, ce qui dans la réalité pourrait nous effrayer et provoquer chez nous des réactions de rejet.

Mais il est sans doute un peu tôt pour moi pour m’exprimer sur l’univers balzacien que je viens à peine de découvrir. Il ne me reste donc plus qu’à continuer mon exploration petit à petit, en savourant chaque nouveau personnage, chaque nouvelle aventure qui s’exposera ainsi à moi.

Extraits et citations du « Père Goriot »

Vous pouvez le lire en entier sur Wikisource.

« Le beau Paris ignore ces figures blêmes de souffrances morales ou physiques. Mais Paris est un véritable océan. Jetez-y la sonde, vous n’en connaîtrez jamais la profondeur. Parcourez-le, décrivez-le ! quelque soin que vous mettiez à le parcourir, à le décrire ; quelque nombreux et intéressés que soient les explorateurs de cette mer, il s’y rencontrera toujours un lieu vierge, un antre inconnu, des fleurs, des perles, des monstres, quelque chose d’inouï, oublié par les plongeurs littéraires. La Maison-Vauquer est une de ces monstruosités curieuses. »

« Peut-être est-il dans la nature humaine de tout faire supporter à qui souffre tout par humilité vraie, par faiblesse ou par indifférence. N’aimons-nous pas tous à prouver notre force aux dépens de quelqu’un ou de quelque chose ? L’être le plus débile, le gamin sonne à toutes les portes quand il gèle, ou se glisse pour écrire son nom sur un monument vierge. »

« Suivant la logique des gens à tête vide, tous indiscrets parce qu’ils n’ont que des riens à dire, ceux qui ne parlent pas de leurs affaires en doivent faire de mauvaises. »

« Poiret parlait, raisonnait, répondait, il ne disait rien, à la vérité, en parlant, raisonnant ou répondant, car il avait l’habitude de répéter en d’autres termes ce que les autres disaient ; mais il contribuait à la conversation, il était vivant, il paraissait sensible ; tandis que le père Goriot, disait encore l’employé au Muséum, était constamment à zéro de Réaumur. »

« Voilà la vie telle qu’elle est. Ça n’est pas plus beau que la cuisine, ça pue tout autant, et il faut se salir les mains si l’on veut fricoter ; sachez seulement vous bien débarbouiller : là est toute la morale de notre époque. Si je vous parle ainsi du monde, il m’en a donné le droit, je le connais. Croyez-vous que je blâme ? du tout. Il a toujours été ainsi. Les moralistes ne le changeront jamais. L’homme est imparfait. Il est parfois plus ou moins hypocrite, et les niais disent alors qu’il a ou n’a pas de mœurs. Je n’accuse pas les riches en faveur du peuple : l’homme est le même en haut, en bas, au milieu. Il se rencontre par chaque million de ce haut bétail dix lurons qui se mettent au-dessus de tout, même des lois ; j’en suis. Vous, si vous êtes un homme supérieur, allez en droite ligne et la tête haute. »

« Un homme qui se vante de ne jamais changer d’opinion est un homme qui se charge d’aller toujours en ligne droite, un niais qui croit à l’infaillibilité. Il n’y a pas de principes, il n’y a que des événements ; il n’y a pas de lois, il n’y a que des circonstances : l’homme supérieur épouse les événements et les circonstances pour les conduire. S’il y avait des principes et des lois fixes, les peuples n’en changeraient pas comme nous changeons de chemises. L’homme n’est pas tenu d’être plus sage que toute une nation. »

« Il faut mourir pour savoir ce que c’est que des enfants. Ah ! mon ami, ne vous mariez pas, n’ayez pas d’enfants ! Vous leur donnez la vie, ils vous donnent la mort. Vous les faites entrer dans le monde, ils vous en chassent. »

Extraits et citations de « La fille aux yeux d’or »

Qui est aussi intégralement accessible sur Wikisource.

« Chercher le plaisir, n’est-ce pas trouver l’ennui ? Les gens du monde ont de bonne heure fourbu leur nature. N’étant occupés qu’à se fabriquer de la joie, ils ont promptement abusé de leurs sens, comme l’ouvrier abuse de l’eau-de-vie. Le plaisir est comme certaines substances médicales : pour obtenir constamment les mêmes effets, il faut doubler les doses, et la mort ou l’abrutissement est contenu dans la dernière. »

« Cette scène fut comme un songe pour de Marsay, mais un de ces songes qui, tout en s’évanouissant, laissent dans l’âme un sentiment de volupté surnaturelle, après laquelle un homme court pendant le reste de sa vie. Un seul baiser avait suffi. Aucun rendez-vous ne s’était passé d’une manière plus décente, ni plus chaste, ni plus froide peut-être, dans un lieu plus horrible par les détails, devant une plus hideuse divinité ; car cette mère était restée dans l’imagination d’Henri comme quelque chose d’infernal, d’accroupi, de cadavéreux, de vicieux, de sauvagement féroce, que la fantaisie des peintres et des poètes n’avait pas encore deviné. En effet, jamais rendez-vous n’avait plus irrité ses sens, n’avait révélé de voluptés plus hardies, n’avait mieux fait jaillir l’amour de son centre pour se répandre comme une atmosphère autour d’un homme. Ce fut quelque chose de sombre, de mystérieux, de doux, de tendre, de contraint et d’expansif, un accouplement de l’horrible et du céleste, du paradis et de l’enfer, qui rendit de Marsay comme ivre. Il ne fut plus lui-même, et il était assez grand cependant pour pouvoir résister aux enivrements du plaisir. »

« Mais, pour le désespoir de l’homme, il ne peut rien faire que d’imparfait, soit en bien soit en mal. Toutes ses œuvres intellectuelles ou physiques sont signées par une marque de destruction. »

« Quelle que fût la puissance de ce jeune homme, et son insouciance en fait de plaisirs, malgré sa satiété de la veille, il trouva dans la Fille aux yeux d’or ce sérail que sait créer la femme aimante et à laquelle un homme ne renonce jamais. Paquita répondait à cette passion que sentent tous les hommes vraiment grands pour l’infini, passion mystérieuse si dramatiquement exprimée dans Faust, si poétiquement traduite dans Manfred, et qui poussait Don Juan à fouiller le cœur des femmes, en espérant y trouver cette pensée sans bornes à la recherche de laquelle se mettent tant de chasseurs de spectres, que les savants croient entrevoir dans la science, et que les mystiques trouvent en Dieu seul. L’espérance d’avoir enfin l’Être idéal avec lequel la lutte pouvait être constante sans fatigue, ravit de Marsay qui, pour la première fois, depuis longtemps, ouvrit son cœur. Ses nerfs se détendirent, sa froideur se fondit dans l’atmosphère de cette âme brûlante, ses doctrines tranchantes s’envolèrent, et le bonheur lui colora son existence, comme l’était ce boudoir blanc et rose. En sentant l’aiguillon d’une volupté supérieure, il fut entraîné par delà les limites dans lesquelles il avait jusqu’alors enfermé la passion. Il ne voulut pas être dépassé par cette fille qu’un amour en quelque sorte artificiel avait formée par avance aux besoins de son âme, et alors il trouva, dans cette vanité qui pousse l’homme à rester en tout vainqueur, des forces pour dompter cette fille ; mais aussi, jeté par delà cette ligne où l’âme est maîtresse d’elle-même, il se perdit dans ces limbes délicieux que le vulgaire nomme si niaisement les espaces imaginaires. Il fut tendre, bon et communicatif. Il rendit Paquita presque folle. »