Chögyam Trungpa « Pratique de la voie tibétaine »

Ce livre est constitué d’une série de causeries données par Chögyam Trungpa Rimpoché (1939 – 1987), qui a été une des rares hautes autorités spirituelles tibétaines à résider de façon permanente en Occident. Pour plus d’informations sur l’auteur, voir sa page sur Wikipédia. L’ouvrage est intéressant, car expliquant les fondements de la spiritualité bouddhiste de manière très pédagogique.

Chögyam Trungpa « Pratique de la voie tibétaine » (éditions Points)

Dans un premier temps il y est dénoncé ce que l’auteur nomme le « matérialisme spirituel », en fait l’attitude de certains « disciples » (notamment en occident) qui s’affichant « bouddhistes » cherchent en fait dans la spiritualité une façon de renforcer leur ego, ce qui est contraire à l’objectif même du bouddhisme.
Avec un côté « romantique » qu’il explique très bien, ces disciples cherchent à acquérir une « belle âme » en singeant le renoncement et les pratiques bouddhistes. Il est vrai que nous sommes dans une société où la spiritualité est souvent quelque chose que l’on consomme comme le reste.

Ne prétendant pas pour ma part être bouddhiste, et ne partageant pas son objectif fondamental de disparition de l’ego, je ne trouve pas cette attitude critiquable en soi, si ce n’est qu’elle dénote un manque de lucidité. On peut très bien concevoir une démarche spirituelle qui serait motivée par un but « esthétique », une sorte de quête d’anoblissement, mais dans ce cas il est bon de se garder de s’afficher comme adhérant à une religion qui s’oppose à cette conception.

Quoi qu’il en soit et quel que soit l’optique que nous avons dans notre réflexion philosophique, l’étude de la spiritualité bouddhiste mérite notre intérêt et si ce n’est pas le premier livre traitant du bouddhisme que je lis, je dois avouer que celui-ci m’a apporté une vision bien différente et plus concrète de cette religion.
J’ignore si cela est dû à la proximité géographique du Tibet et de la Chine taôiste, mais j’y ai retrouvé un peu l’esprit de cette autre philosophie orientale, notamment par l’insistance sur le fait de transcender la dualité.

Ces causeries traitent de nombreux sujets qui peuvent concerner toute personne s’intéressant à la spiritualité (lâcher prise, gourou, initiation, etc.), mais avec toujours la volonté de leur redonner leur sens initial qu’ils ont souvent perdu en se vulgarisant, en finissant même par être perçus de manière complètement erronée. On trouve malheureusement cette tendance concernant toutes les religions et philosophies et dans bien d’autres domaines ! Il est donc bon de temps en temps de remettre les pendules à l’heure !

L’ouvrage nous offre une vision assez large du cheminement spirituel de l’aspirant « bodhisattva », mais même si le ton est didactique, je pense que ce n’est pas le meilleur livre à conseiller à une personne n’ayant pas déjà des bases concernant la spiritualité orientale. Il y a même un côté à proprement parler ésotérique dans les derniers sujets abordés (Prajna, Tantra…) qui pourrait en perturber quelques-uns…
Je le conseille par contre sans hésitation à ceux qui ayant déjà ces bases souhaiteraient aller plus loin dans leur découverte ou encore savoir si oui ou non la voie bouddhiste leur convient.

Pour finir, voici quelques cours extraits

« Nous sommes venus ici étudier la spiritualité. Je crois à l’authenticité de cette recherche mais nous devons en questionner la nature. Le problème est que l’ego peut tout convertir à son propre usage, même la spiritualité. L’ego tente constamment d’acquérir et d’appliquer les enseignements spirituels à son propre bénéfice. Les enseignements sont abordés comme quelque chose d’extérieur – extérieur à « moi » -, une philosophie que l’on tâche d’imiter. Mais on ne souhaite pas réellement s’identifier avec les enseignements, devenir les enseignements. Alors, si notre maître parle de renoncer à l’ego, on essaye de mimer la renonciation. On fait les mouvements, les gestes appropriés, mais en fait on ne veut à aucun prix sacrifier le moindre élément de son mode de vie. On devient un acteur averti et, tandis que l’on demeure sourd et aveugle à la signification véritable des enseignements, on trouve quelque confort à faire semblant de suivre le sentier. »
« La compassion n’a rien à voir avec la réalisation. Elle est ample et généreuse. Lorsque l’on développe la véritable compassion, on ne sait plus si l’on est généreux envers soi-même ou envers les autres, car la compassion est la générosité de l’environnement, sans direction, sans « pour moi » et « pour les autres ». Elle est pleine de joie, de joie spontanée, de joie constante dans le sens de la confiance, dans la mesure où la joie contient de fabuleuses richesses. »
« Dans les enseignements bouddhistes, le symbole de la compassion, comme je l’ai déjà dit, est une lune brillant dans le ciel, et son image reflétée dans une centaine de bols emplis d’eau. La lune ne demande pas : « Si tu t’ouvres à moi, je te ferai la faveur de répandre ma clarté sur toi », la lune brille, simplement. Nous n’avons pas à vouloir faire du bien à quiconque, ou à vouloir rendre les autres heureux. Il n’y a pas de public, pas de « moi » et « eux ». Il s’agit d’un don ouvert, d’une complète générosité, sans les notions relatives de donner et recevoir. Telle est l’ouverture fondamentale de la compassion : s’ouvrir sans rien exiger. Simplement être ce que vous êtes, être maîtres de la situation. Si vous « êtes » seulement, alors la vie coule autour de vous et au travers de vous. Cela vous conduira au travail et à la communication avec autrui, ce qui, bien sûr, exige une chaleur et une ouverture considérables. Si vous pouvez vous permettre d’être ce que vous êtes, vous n’avez plus besoin de la « police d’assurance » qui consiste à essayer d’être bon, pieux, compatissant. »