5G Mon amour de Nicolas Bérard

Quelques réflexions suite à ma lecture du livre « 5G Mon amour » de Nicolas Bérard, un des journalistes de l’« Âge de faire ».

« 5G Mon amour » de Nicolas Bérard

La 5G, un symbole ?

Les critiques du développement de la 5G se concentrent généralement sur trois aspects :

  • l’aspect sanitaire à court ou moyen terme
  • la consommation d’énergie et de ressources naturelles directe, ou induite par les nouveaux usages associés
  • le modèle de société associé et tout particulièrement les systèmes de contrôle et la mainmise des GAFAMs.

Mais ces critiques ne sont pas spécifiques à la 5G et sont par exemple déjà présentes chez les opposants au Linky, le fameux compteur auquel l’auteur a d’ailleurs consacré son précédent ouvrage : « Sexy Linky ? ».

De mon point de vue, le dernier aspect est celui qui a le plus d’importance. Les outils numériques changent radicalement les choses en permettant une surveillance plus importante que jamais, que cela soit de la part des gouvernements, comme des entreprises du numérique. Par ailleurs, je trouve dangereuse la concentration économique qui est habituelle dans ce domaine. Il semble toujours n’y avoir qu’un acteur dominant dans chaque secteur (système d’exploitation, moteur de recherche, vidéo, réseaux sociaux, etc.) et les opérateurs télécoms se comptent sur les doigts de la main…

Quant à l’augmentation de la consommation d’énergie et de ressources, elle n’est pas spécifique au numérique, mais propre à tout domaine économique en expansion. Ceci dit, plus une technologie est complexe et high tech et plus elle pose généralement de problèmes environnementaux. Et les prétendues « solutions » apportées par le numérique tiennent rarement la route quand on effectue un bilan complet de leur fonctionnement. Les promesses de la « croissance verte » n’engagent que ceux qui y croient :)

Mais force est de constater que parmi les opposants au déploiement à la 5G, et précédemment au Linky, c’est l’aspect sanitaire qui est le plus souvent mis en avant. J’avoue que ce n’est pas le point qui m’intéresse le plus. J’ai la même attitude concernant les pesticides, OGM, etc. Je ne nie pas les problèmes de santé qu’ils peuvent provoquer, mais préfère critiquer le modèle polico-économique sous-jacent. Sans remise en cause plus profonde, on risque de remplacer un problème par un autre.

Quid de l’électro-hypersensibilité ?

Dans le cas des ondes, si les effets cancérigènes à long terme sont très crédibles, j’avoue être un peu plus sceptique quant à l’électro-hypersensibilité (EHS). Le fait que les militants des collectifs s’opposant au déploiement de ses technologies mettent en exergue cet aspect ne favorise pas mon adhésion à leur mouvement. Surtout que fréquentant le milieu « écolo », je connais l’intérêt de nombre de ses militants pour des domaines s’éloignant parfois de connaissances strictement scientifiques : « médecines » parallèles, antivaccin, etc.

Et je dois dire que la lecture de « 5G Mon amour » m’a fait avancer sur ce sujet en présentant de nombreux éléments avec rigueur et pédagogie.

Ainsi plus grand monde nie la souffrance des personnes se disant électrosensibles, qui seraient plus de 3 millions en France. Mais pour s’attaquer à ce problème, il nous faut établir la cause de cette souffrance. Est-ce que leur souffrance est réellement provoquée par les ondes ? Est-ce un effet nocebo ? Ou encore la conséquence d’autres problèmes sanitaires ? Suivant la réponse à cette question, la solution sera évidemment différente.

Sur ce sujet, Nicolas Bérard cite le cancérologue Dominique Belpomme qui est un des rares chercheurs français à considérer l’électro-hypersensibilité comme ayant une cause somatique et non psychologique. À noter que ce professeur a reçu un avertissement du Conseil national de l’ordre des médecins, mais que parallèlement l’ANSES a appelé à répliquer certaines de ses expériences… Chacun jugera !

Toujours est-il que le docteur Belpomme fournit des certificats médicaux à certaines personnes EHS, mais le livre n’indique pas la proportion de ses patients obtenant ce fameux certificat. Cela serait intéressant, car même si l’origine somatique de l’EHS est vérifiée comme l’affirme ce chercheur, une part des personnes se considérant EHS n'est sans doute pas concernée. Dans tous les cas, elles méritent d’être soignées, mais il ne faut pas les diriger vers des fausses pistes.

Pour en rester aux « EHS », l’accoutrement d’« apiculteurs » de certains d’entre eux ne favorise pas l’adhésion de personnes ayant l’esprit plutôt rationnel et a même plutôt un effet épouvantail ! Ceci dit, passé la première impression, si on admet l’idée que les symptômes de l’EHS peuvent être liés aux ondes, on peut comprendre que les personnes concernées soient quelque peu « perturbées » et cherchent des solutions pour se protéger, même pas très sérieuses. Qui a déjà souffert d’une quelconque maladie ne pouvant être soulagée facilement, sait que l’on peut alors être tenté de s’accrocher à n’importe quelle solution ! Or, sans attendre la 5G, nous baignons déjà littéralement dans les ondes et pour des personnes qui ne les supporteraient pas, il y aurait de quoi devenir fou !

BigTech

Ce que montre très bien l’ouvrage de Nicolas Bérard, c’est l’omniprésence des industries des télécommunications avec des études « scientifiques » téléguidées, du lobbying politique à tous les niveaux et leur mainmise sur les médias de masse. Cela fait penser aux grandes heures du lobby du tabac ou encore aujourd’hui à celui des pesticides. Les exemples dans d'autres domaines ne manquent pas.

Sur ce sujet, j’irai au-delà de l’auteur en disant qu’il n’y a pas forcément qu’une histoire d’argent ou de pouvoir derrière ces études biaisées. Il peut aussi y avoir un aspect plus psychologique. Pour des personnes travaillant dans le domaine des NTIC, il est difficile d’admettre que ce à quoi elles consacrent leurs journées peut être nuisible pour la santé, l’environnement, etc. C’est le même problème que les agriculteurs ou les ingénieurs agronomes avec les pesticides ou encore les travailleurs du nucléaire, etc. Et je ne parle même pas des préjugés technophiles et scientistes qui peuvent faire perdre tout esprit critique à certains par rapport à tout ce qui a l’air d’une « innovation ». Ne sommes-nous pas dans la start-up nation ? Si vous la critiquez, c’est que vous êtes un amish !

Ébriété énergétique

L’auteur parle aussi des conséquences environnementales du déploiement de la 5G.
Comme dit plus haut, c’est vrai pour toutes évolutions technologiques, lorsqu’il s’agit d’ajouter de nouveaux usages à ceux existants.
Si individuellement les antennes 5G pourraient consommer moins d’énergie que les 4G, elles devront être beaucoup plus nombreuses. Et surtout elles existent pour permettre le déploiement d’une multitude d’objets connectés, des véhicules autonomes, etc. De quoi renforcer notre ébriété énergétique, alors qu’il faudrait prendre le chemin inverse. Le développement des énergies renouvelables n’a de sens que si elles se substituent aux énergies actuelles. Si elles servent à de nouveaux usages, notre utilisation d’énergie d’origine fossile ou fissile ne diminuera pas.

Le meilleur des (m)ondes ?

Au-delà des débats sur les aspects sanitaires ou énergétiques, concernant lesquels nous ne pouvons que nous reposer sur des « experts », plus ou moins crédibles ou indépendants, en tant que citoyens nous pouvons nous poser la question de savoir si le monde qu’annonce la 5G nous convient ou pas ?

Justement, un monde ou nous devons de plus en plus remettre entre les mains d’experts le moindre aspect de nos vies nous fait-il rêver ? Quelle autonomie nous reste-t-il ? Travaille, consomme et tais-toi ?

Smart cities bourrées de capteurs, véhicules « autonomes », société du contrôle avec reconnaissance faciale dans chaque coin de rue… Tout cela pour pouvoir visionner des vidéos en 4K sur son mobile ou pouvoir envoyer des stories sur Instagram du fin fond de l'Amazonie ?

5G Mon amour

Quel que soient vos à priori sur le sujet, je vous conseille la lecture de « 5G Mon amour », qui vous donnera matière à réflexion. L’auteur cite abondamment ses sources, donc libre à vous de creuser…

Sur la forme, j’ai apprécié le tutoiement peu habituel dans les essais, mais moins l’abus d’écriture inclusive. Sur ce dernier point, j’ai pratiqué aussi, y compris sur ce blog, mais je commence à en revenir, certaines formes d’écriture inclusive me semblant des mauvaises solutions à un vrai problème et qui plus est pas si « inclusive » que ça, notamment pour les personnes dyslexiques ou utilisant des logiciels de synthèse vocale.

Mais bon, si vous cherchez à y voir un peu plus clair dans ce brouillard d’ondes, je vous invite vivement à vous procurer ce livre.

Quelques extraits

L’ANFR, l’un des rares organismes qui contrôlent ce genre de données en Europe, vérifiait donc que les mobiles vendus dans l’Union respectaient ces normes. Seulement voilà : elle le faisait selon un protocole certes officiel, mais qui biaisait, et pas qu’un peu, les résultats. Ainsi, la première chose que faisaient les agent·es de l’ANFR pour contrôler un téléphone, c’était de lire le manuel d’utilisation rédigé par le constructeur. Celui-ci conseillait-il de n’utiliser l’appareil qu’à une distance minimum de 15 mm ? Obéissante, l’ANFR réalisait ses mesures en tenant l’émetteur à 15 mm du récepteur. Conseillait-il de maintenir une distance de 25 mm entre l’appareil et le corps ? Docile, l’ANFR se pliait à cette recommandation pour procéder à ses tests. Et ainsi, ô miracle, l’ensemble des appareils satisfaisaient la réglementation et pouvaient être mis en vente. « En fait, il suffisait aux industriels d’adapter cette distance pour respecter les normes. Il faut savoir qu’à quelques millimètres près, le DAS change énormément », explique Marc Arazi. (pages 80-81).

L’État n’a jamais, en matière d’ondes, accordé beaucoup d’argent à la recherche publique. Il existait tout de même une taxe au nom barbare qui y était destinée : la taxe additionnelle à l’imposition forfaitaire sur les entreprises de réseaux (TA-IFER). Payée depuis 2011 par les opérateurs en fonction du nombre d’antennes-relais qu’ils ont sur le territoire, elle a permis à l’État de récolter environ 2 millions d’euros par an, lesquels étaient destinés à financer de la recherche publique sur les effets sanitaires des champs électromagnétiques. En 2018, le gouvernement a tout simplement décidé de supprimer ces financements. […] N’attends plus trop d’études françaises pointant des effets néfastes des ondes sur le vivant : pour en obtenir, il faudra désormais compter sur l’industrie pour les financer, puis pour les publier… (pages 154-155)

Après avoir longtemps nié l’existence réelle de cette pathologie, l’Anses, en se basant sur des estimations qu’elle a jugées fiables ayant été réalisées dans plusieurs pays, a estimé en mars 2018 à 5 % de la population la prévalence à l’électrohypersensibilité. Rien qu’en France, cela représenterait 3,3 millions de personnes. 385 millions à l’échelle de la planète.
C’est dans ce contexte que quelques illuminés milliardaires souhaitent mettre en orbite près de 50 000 satellites autour de la Terre pour arroser le moindre centimètre carré d’ondes millimétriques. Et, dans l’immédiat, c’est aussi dans ce contexte que le gouvernement français désire supprimer toutes les zones blanches, qu’il espère mettre en place au plus vite un nouveau réseau 5G, qui se juxtaposera aux réseaux existants, et qu’il a supprimé la seule taxe destinée à financer la recherche indépendante sur le sujet. (pages 197-198)