Vous avez dit transition ?

Suite à la lecture de l'essai de Pablo Servigne et Raphaël Stevens : "Comment tout peut s'effondrer - Petit manuel de collapsologie à l'usage des générations présentes", je partage avec vous quelques réflexions personnelles et citations issues de l'ouvrage.

Je profite de la lecture de l'ouvrage de Pablo Servigne et Raphaël Stevens pour revenir sur le concept de "transition", dont j'ai déjà parlé ici et qui est au cœur de leur ouvrage. Cela sera donc une façon de l'introduire et peut-être de vous donner envie de le lire ? Je le souhaite, car il ne manque pas d’intérêt !

Quand on parle de transition écologique, du moins en France, on le rapproche souvent du concept de développement durable (ou soutenable).
L'idée est qu'il est possible de maintenir notre mode de vie actuel, moyennant certaines évolutions principalement techniques, mais aussi comportementales.
Les deux s'influençant : de nouveaux moyens favorisant de nouveaux comportements et de nouvelles aspirations collectives amenant à l'apparition de nouveaux outils ou services.
C'est une transition que je qualifie de techno-optimiste et dont Jeremy Rifkin et sa Troisième révolution industrielle est un des "prophètes".
Assez généralement (toujours en France), pour expliquer la nécessité de cette transition, on se focalise sur le problème du dérèglement climatique lié à nos émissions de gaz à effet de serre, et plus généralement aux problèmes de pollution.

L'autre transition part d'un constat moins optimiste en prédisant un basculement de notre civilisation techno-industrielle, principalement provoqué par un épuisement des ressources qui lui sont nécessaires (et prioritairement le pétrole).

Sont aussi souvent pris en compte ici les boucles de rétroaction qui étudient les interactions entre les différents problèmes qui se posent à nous.
Par exemple le fait que nous ayons atteint le pic du pétrole conventionnel en 2006 (d'après la très conservatrice AIEA) semble plutôt une bonne nouvelle pour le climat, puisque devant amener à une augmentation à moyen terme du prix du pétrole et donc à une diminution de son utilisation.
Mais cette "bonne nouvelle" l'est moins d'un point de vue économique et social, faute d'avoir de nouveaux esclaves énergétiques sous la main pouvant remplacer les hydrocarbures conventionnels.

Dans cette logique, les substituts aux pétroles devront être choisis en prenant en compte leur impact sur le climat, mais aussi leur taux de retour énergétique (TRE).
Le plus souvent, les tenants de cette transition sont pessimistes quant à notre capacité d'adaptation.
Une des références sur le sujet est le rapport Meadows, qui, utilisant la dynamique des systèmes, prévoyait déjà en 1970 (durant les 30 glorieuses!), la non soutenabilité de notre société.
Une autre référence est Rob Hopkins et son manuel des villes en transition qui, très axé sur le pic pétrolier, se focalise donc sur les solutions post-pétrole (permaculture, résilience des territoires...). Plus qu'un simple manuel théorique, l'auteur l'applique dans sa ville Totnes. De nombreuses autres villes en transition existent de par le monde.

La bonne nouvelle est que ces deux formes de transition ne s'opposent pas sur tous les points, loin de là.
Elles sont en accord sur la nécessité de faire des économies d'énergie, et plus généralement de limiter tous les gaspillages.
Elles sont aussi favorables au développement des énergies renouvelables même si les techno-pessimistes privilégieront les solutions low-tech et locales, là où les techno-optimistes resteront dans une logique mondialisée et hight-tech (smartgrid, robotisation, etc.).

Bien évidemment, il y a une multitude de nuances entre ces deux grandes tendances !

Pour en revenir à l'ouvrage qui m'a inspiré cet article, Raphaël Stevens et Pablo Servigne se placent clairement dans le groupe des pessimistes (encore que Paul Jorion leur reproche d'être trop optimistes !).

Pour réaliser leur ouvrage, ils ont passé quatre années à plancher sur de nombreuses études scientifiques concernant les limites de notre société pouvant l'amener à s'effondrer dans les prochaines décennies.

Ils l'ont expliqué en avril 2015 durant une conférence à la maison des Métallos :

Ils nomment leur domaine d'étude "collapsologie", que l'on peut décrire comme une science de l'effondrement.
Ils ne se sont pas intéressés uniquement aux raisons qui peuvent nous amener à cet effondrement, mais aussi aux études scientifiques pouvant nous éclairer sur comment cela peut se dérouler.
Par exemple, ce que nous dit la psychologie collective sur la façon dont les populations réagissent lors de catastrophes, ou encore l'étude historique de l'effondrement des précédentes civilisations.

Un des reproches que je ferais à cet ouvrage est de ne pas être allé assez loin sur ce sujet, car on en arrive toujours à la même question : "Ok... mais maintenant qu'est ce que l'on fait ?". Pour leur défense, la réponse est tout sauf évidente !

Sans prendre parti entre ces deux transitions, on peut s'étonner que la perspective d'un effondrement passe sous silence alors qu'il semble difficile de nier sa possibilité à moyen terme.
Dans le cas de sa survenue, son caractère global, non-réversible et ses conséquences importantes, en fait pourtant le candidat parfait pour le fameux "principe de précaution".

Méconnaissance de nos "élites" ? Déni ? Ou volonté de ne pas hâter les événements en en parlant ? Difficile à dire.
En tout cas, un livre à lire pour vous faire votre avis. Le livre est publié aux éditions du... Seuil (ce qui ne s'invente pas ! :-)).

Comme promis, en voici quelques citations :

Certes, la possibilité d'un effondrement ferme des avenirs qui nous sont chers, et c'est violent, mais il en ouvre une infinité d'autres, dont certains étonnamment rieurs. Tout l'enjeu est donc d'apprivoiser ces nouveaux avenirs, et de les rendre vivables.
Aujourd'hui, si on retire le pétrole, le gaz et le charbon, il ne reste plus grand-chose de notre civilisation thermo-industrielle. Presque tout ce que nous connaissons en dépend : les transports, la nourriture, les vêtements, le chauffage, etc. La puissance économique et politique des majors du pétrole et du gaz est devenue démesurée, à tel point que 90 entreprises mondiales ont été à elles seules responsables de l'émission de 63% des émissions mondiales de gaz à effet de serres depuis 1751. Pire, les partisans de la transition énergétique (vers les renouvelables) ont besoin de cette puissance thermique pour construire un système énergétique alternatif. Le paradoxe est alors plutôt cocasse : pour espérer survivre, notre civilisation doit lutter contre les sources de sa puissance et de sa stabilité, c'est-à-dire se tirer une balle dans le pied ! Quand la survie de la civilisation dépend totalement d'un système technique dominant, c'est le verrouillage ultime.
Alors, comment gérer les cygnes noirs ? Comment "gérer" le prochain "Fukushima" ? On ne le peut pas vraiment. Il faut plutôt lâcher prise et passer d'un mode "observer, analyser, commander et contrôler" à un mode "expérimenter, agir, ressentir et ajuster". Ouvrir la raison à l'intuition. En collapsologie, c'est l'intuition - nourrie par de solides connaissances - qui sera donc primordiale. Toutes les informations contenues dans ce livre, aussi objectives soient-elles, ne constituent donc pas une preuve formelle qu'un grand effondrement aura bientôt lieu, elles permettent seulement d'augmenter votre savoir, donc d'affiner votre intuition, et enfin d'agir avec conviction.
Ce qui nous fait peur dans l'idée d'une grande catastrophe, c'est la disparition de l'ordre social dans lequel nous vivons. Car une croyance extrêmement répandue veut que, sans cet ordre qui prévaut avant le désastre, tout dégénère rapidement en chaos, panique, égoïsmes et guerre de tous contre tous. Or, aussi surprenant que cela puisse paraître, cela n'arrive pratiquement jamais. Après une catastrophe, c'est-à-dire un "événement qui suspend les activités normales et menace ou cause de sérieux dommages à une large communauté", la plupart des humains montrent des comportements extraordinairement altruistes, calmes et posés. (...) En somme, les comportements de compétition et d'agressivité sont mis de côté, dans un élan général où tous les "je" deviennent instantanément des "nous" avec une force que rien ne semble arrêter. Comme si des conditions extraordinaires faisaient ressortir des comportements extraordinaires.
(...) l'utopie a changé de camp : est aujourd'hui utopiste celui qui croit que tout peut continuer comme avant.

En complément, cliquez ici pour lire sur "Basta !" un extrait plus long de leur livre.

J'édite cet article pour y ajouter une nouvelle vidéo fort intéressante d'une conférence organisée par le mouvement Utopia, peu avant la COP21, 13 octobre 2015. Sur le thème "Est-il trop tard pour sauver le climat (et notre civilisation avec) ?", Pablo Servigne et Yves Cochet y discutaient plus généralement des différents périls menaçant notre civilisation, et de la possibilité (ou non) de les éviter. Et vous verrez que comparé à Yves Cochet, Pablo Servigne fait presque ici office d'optimiste de service :-). Bref, voici le lien vers la vidéo : Est-il trop tard pour sauver le climat ?