Le bois – énergie, c’est bon pour le climat… ou bien ?

La société OnCIMè, dont je suis un des membres fondateurs, est susceptible de participer au financement d’un réseau de chaleur qui utilisera des chaudières bois. Cette perspective m’a donné l’occasion d’étudier l’impact climatique de ce qui est nommé le « bois – énergie ». Je vous partage le résultat de mes lectures en fournissant mes sources, pour que vous puissiez vous faire votre propre opinion.

Une chaudière bois tout feu tout flamme !

Cela va (peut-être) chauffer chez OnCIMè !

Depuis la création d’OnCIMè, nous avons mené uniquement des projets de centrales photovoltaïques, avec presque 500 panneaux installés à ce jour sur le Pays de Lorient. Une des nouveautés de 2021 a été l’apparition d’un projet de réseau de chaleur qui serait lui aussi à la recherche d’un financement citoyen. Je ne peux pas en dire plus pour l’instant, car « c’est dans les tuyaux ». Toujours est-il que ce réseau de chaleur sera alimenté par des chaudières brûlant du bois.

Je suis plutôt favorable à ce que notre société diversifie la nature de ses projets, plutôt que de cloner ceux existants. C’est plus intéressant et je me méfie de la monoculture, ici comme ailleurs.

Je dois dire être parti avec un préjugé positif concernant le « bois – énergie », expression désignant le fait de créer de l’énergie à partir du bois, que cela soit sous forme de chaleur (la bonne vieille cheminée) ou de l’électricité. Via le club CIGALES dont je suis également membre, nous avons même participé au financement de la SCIC Argoat Bois Énergie, cherchant à « valoriser » le bois local dans le Pays de Pontivy.

L’ombre d’un arbre doute

Il s’agissait donc d’un préjugé, car je n’avais pas pris le temps d’approfondir le sujet. Ce préjugé étant conforté par des prescripteurs tels que l’association négaWatt, Enercoop ou encore l’ADEME. Cette opinion favorable est donc bien partagée, mais il semble que les choses bougent, car j’ai entendu la journaliste présentant une émission récente du Téléphone sonne (France Inter), questionner d’emblée la vertu écologique du bois énergie.

Au début de l’année dernière, j’ai déjà reçu un appel à signer une pétition demandant à l’UE à ne plus promouvoir le bois – énergie, ni de continuer à le comptabiliser dans les énergies renouvelables. Toujours en 2021, une lettre ouverte signée par plusieurs centaines scientifiques a exhorté les dirigeants politiques à ne pas « remplacer la combustion des carburants fossiles par celle de la biomasse forestière pour produire de l’énergie ». En fait, dès 2019, une action en justice avait été intentée par plusieurs ONG pour empêcher que la biomasse forestière soit incluse dans la directive européenne sur l’énergie renouvelable.

De quoi m’inciter à aller au-delà de mon à priori positif. Du moins me donner envie d’aller fouiller un peu plus loin que les belles promesses avancées par les promoteurs du bois – énergie. Au passage, le CIBE, une des organisations promouvant le bois – énergie collectif compte actuellement parmi ses administrateurs Engie ou encore Dalkia (EDF). Nous sommes loin des coopératives citoyennes et pourtant leur documentation est relayée dans certains cercles militants…

Bref, n’ayant pas envie de me faire « enfumer », ni d’apporter une caution citoyenne à une filière industrielle aux vertus discutables, j’ai souhaité prendre le temps de me documenter, ceci en consultant des documents, qu’ils soient favorables, défavorables ou neutres par rapport à cette filière. Il y a des informations intéressantes partout et surtout une cohérence ou non à trouver. Le premier lien que je vous conseille de consulter est l’article que Wikipédia consacre à ce sujet. S’il est long, il vous permettra de mieux connaître le sujet, au-delà de l’aspect environnemental.

Ce n’est pas qu’une histoire de climat

Les critiques concernant l’exploitation des arbres d’une manière générale et du bois – énergie en particulier sont variées. C’est souvent la pollution de l’air engendrée par la combustion qui est la plus mise en avant. Mais il y a aussi le sujet de la biodiversité mal menée par l’exploitation forestière. Ou encore une extension de la pensée animaliste qui consiste à considérer l’arbre comme un être vivant à part entière, et non seulement une source de bois. Certes, le sentiment de familiarité est moins évident qu’avec des mammifères, mais des travaux scientifiques semblent montrer une forme d’intelligence des végétaux et particulièrement des arbres. De quoi en faire des sujets de droit ?

Mais ici, je souhaite surtout me concentrer sur l’impact climatique du secteur du bois – énergie, car c’est souvent un des premiers avantages qui est avancé par ses promoteurs.

Les vertus annoncées du bois – énergie pour le climat

L’idée générale défendue par ses promoteurs est que les émissions de CO₂ provenant de la combustion du bois peuvent être ignorées, car ce CO₂ a préalablement été capté dans l’atmosphère et que par ailleurs, lorsque le bois brûlé provient d’une forêt gérée durablement, d’autres arbres seront plantés, compensant ainsi ces émissions. Donc, selon eux, seules les émissions liées au prélèvement (tronçonneuses…), au séchage, au conditionnement, au transport… sont à prendre en compte dans le calcul du bilan CO₂ du bois – énergie.

Par ailleurs, il est aussi défendu qu’en France, il existe une hiérarchisation de l’utilisation commerciale du bois, qui fait qu’il sera prioritairement utilisé pour la construction (bois d’œuvre), permettant de garder stocker le carbone capté pour les arbres. Le bois – énergie étant alors considéré comme un coproduit, pour ne pas dire un déchet à valoriser, pour prendre des expressions technocratiques.

La combustion du bois

Conséquence de ce que je viens d’écrire, il n’est pas aisé de trouver la quantité de CO₂ émise lorsque vous brûler du bois, car vous vous trouvez presque systématiquement renvoyés vers le fait que ceci est compensé par ailleurs, sans que cela ne soit chiffré. Bref, « circulez, il n’y a rien à voir ! ». Très frustrant et donnant encore plus envie d’aller chercher l’information ailleurs !

Pour être tout de même fixé, il faut commencer par rappeler que chimiquement parlant, le bois est constitué d’environ 50 % au carbone, du fait justement de ce fameux CO₂ capté dans l’atmosphère. Sa combustion libère donc ce carbone sous forme de CO₂ avec un bilan… très proche de celui du charbon ! (92 kg de CO2 / GJ, contre 95 kg pour le charbon).

En quantité bien moindre (< 1 %), le bois contient aussi de l’Azote qui est libéré pour la combustion sous forme de NO₂. Si les quantités sont faibles, ce gaz contribue 300 fois plus au réchauffement climatique que le CO₂, donc au final ce n’est peut-être pas si négligeable que cela.

Le reste du bilan carbone

Pour faire un bilan carbone complet, il faut prendre en compte l’ensemble du processus : le prélèvement en forêt, le séchage du bois, son conditionnement (bûches, pellets…) et évidemment son transport jusqu’au lieu de son utilisation finale. Ceci permet de le comparer aux autres sources d’énergie possible (gaz, pétrole…), provenant vraisemblablement de plus loin. Dans le cas du bois, il faut aussi prendre en compte l’impact carbone sur le sol.

Les estimations de l’auteur du blog Zéro combustible donnent un bilan défavorable pour le bois comparé à tous les autres combustibles, y compris le charbon. C’est aussi le cas des scientifiques demandant à l’UE de ne plus favoriser le bois – énergie. Selon eux, le bois – énergie peut émettre jusqu’à 1,3 fois plus de CO₂ que le charbon.

Évidemment, le bilan dépendra de la provenance du bois, ou encore de la façon de le sécher. Pour les émissions durant la combustion, il n’y a pas vraiment de levier à actionner, à part imaginer de capter le CO₂, ce qui est un autre serpent de mer…
Pour ce qu’il en est de la performance de la chaudière, ce point est valable pour tous les autres combustibles. Mais il est évident que brûler du bois en foyer ouvert est une folie dans nos pays occidentaux, que cela soit du point de vue de la pollution de l’air, comme du bilan énergétique.

Compensation carbone ?

La justification de la neutralisation comptable des émissions carbone est donc de considérer que le CO₂ capté par le reste de la forêt française compense celui émis par la combustion du bois brûlé, ceci du fait que la forêt est gérée durablement, c’est-à-dire qu’elle progresse plus vite que les prélèvements.

Cela a effectivement été le cas jusqu’ici d’après les chiffres officiels. La forêt française représente actuellement 30 % du territoire national et capte environ 15 % des émissions CO₂ du pays, ce qui est beaucoup et peu en même temps. Mais l’émission de France Inter citée plus haut faisait écho à un rapport récent de l’IGN nuançant cette progression. La forêt continue effectivement d’augmenter en surface, mais parallèlement, ils ont observé une augmentation significative de la mortalité des arbres existants, ceci étant entre autres lié au réchauffement climatique. C’est une erreur courante dans les projets de transition énergétique de ne pas prendre en compte les changements liés au dérèglement climatique. Nous ignorons le problème que nous voulons combattre !

Au-delà de ça, le lien entre progression des forêts et exploitation est discutable, car les forêts exploitées progressent moins vite que les autres. Entre 70 et 80 % de l’accroissement naturel y est prélevé, contre seulement 60 % pour l’ensemble des forêts.

Il faut savoir qu’une bonne partie de la forêt française appartient à des particuliers et n’est donc pas exploitée. Ce qui ne veut pas dire qu’aucun prélèvement y est effectué, mais que ce bois n’est pas commercialisé. Par contre, il est majoritairement prélevé pour être brûlé, contrairement aux forêts exploitées dont le bois sert en priorité à la construction. En moyenne, 30 % du bois prélevé en forêt exploitée est néanmoins brûlé.

La dette carbone

Le lien entre exploitation forestière « durable » et expansion de la forêt me semble donc discutable, puisque les forêts exploitées progressent moins vite. Par ailleurs, même si on attribuait cette expansion aux exploitants forestiers, il resterait à prendre en compte ce que l’on nomme la dette carbone, c’est-à-dire la durée nécessaire pour que la pousse des nouveaux arbres (ou branchages) compense les émissions carbone immédiates de la combustion du bois. Cette durée pouvant se compter en dizaines ou centaines d’années suivant la nature du bois brûlé, comme l’ADEME a fini elle-même par l’admettre.

Or, vous devez le savoir, les rapports du GIEC nous le rappellent régulièrement, c’est au plus tôt que nous devons diminuer nos émissions de CO₂ si nous voulons diminuer le dérèglement climatique. L’idée de compensation carbone à plus ou moins long terme est donc discutable et certains membres du GIEC le disent clairement.

Il y a d’ailleurs un côté pervers dans cette idée de compensation carbone qui joue plus sur un sentiment de culpabilité que de responsabilité et peut donner l’impression d’avoir « le droit » de polluer, pour peu que cette pollution soit par ailleurs compensée.

Substitution et « coproduit »

Dans le cas du bois, s’ajoute à la compensation carbone l’idée de « substitution ».

Comme déjà dit, dans les forêts gérées durablement, le bois prélevé doit prioritairement être utilisé pour constituer du bois d’œuvre qui a comme double avantage de stocker le carbone du bois prélevé et de constituer un matériau de construction plus vertueux que le béton, y compris d’un point de vue climatique.

Le bois – énergie est alors considéré comme un sous-produit n’ayant pu être valorisé par ailleurs. Certains calculs vont jusqu’à lui attribuer les émissions de CO₂ permis par le bois d’œuvre, une sorte de « mal nécessaire ». Je trouve que c’est un jeu de comptabilité encore plus discutable, car les émissions évitées via l’usage du bois d’œuvre (vs le béton) n’existeraient pas sans activité humaine.

Par ailleurs, une interview évoquant la récente crise d’approvisionnement en bois, avec « flambée » des prix, révèle que seuls 60 % des besoins nationaux proviennent de nos forêts. On peut alors se poser la question de la capacité de nos forêts à simplement nous apporter une certaine autonomie.

La chaudière, un incinérateur à bois ?

J’ai souligné au début de cet article que mon préjugé favorable concernant le bois – énergie est assez largement partagé, y compris parmi les personnes sensibles aux enjeux environnementaux. Il y a sans doute des raisons culturelles à cela, peut-être liées à une image positive d’une pratique traditionnelle.

Pourtant, il y a peu de différences entre le fait de brûler du bois et celui de brûler des « déchets » dans un incinérateur, ce qui a pourtant une beaucoup plus mauvaise image.

Sans filtre, une chaudière à bois, comme un incinérateur émet de nombreuses particules nocives pour la santé. L’existence de l’incinérateur questionne aussi la création de « déchets » ou supposés tels, que l’on ne saurait recycler, ni même décycler par ailleurs. L’incinération est le décyclage ultime, une sorte d’aveux d’échec.

Sur ce dernier point, incinérer du bois semble encore plus absurde, car le bois ne peut être considéré comme un déchet, concept inexistant dans la nature ou tout est réutilisé. Et même pour nos sociétés humaines, le fait de considérer le bois comme un déchet semble assez insensé, tant les possibilités de ce matériau sont nombreuses. Pourquoi les laisser partir en fumée ?

Réduire le besoin et stocker le carbone

Une meilleure solution serait sans doute de promouvoir l’utilisation complète du bois prélevé, ce qui est à priori possible sous forme de panneaux ou encore de laine de bois. Cette dernière ayant en plus comme vertu de contribuer à l’isolation des bâtiments et donc la diminution de leur besoin en chauffage.

Je ne parle pas des plus petits branchages, ce qui est appelé le « menu bois » qui doit être laissé sur le lieu où le bois est prélevé pour éviter un appauvrissement des sols. Au-delà du CO₂, les arbres captent effectivement des éléments du sol, qui se trouve en général stockés dans son feuillage et dans le petit branchage. Et ce petit branchage peut être aussi utile sur place pour le reste de la biodiversité (insectes, hérissons…).

Si l’Europe et en France l’ADEME peut légitimement promouvoir une utilisation rationnelle du bois de nos forêts, son soutien au bois – énergie est plus discutable. Des efforts en recherche et développement ou encore en changement de pratiques dans le but de stocker durablement l’ensemble du bois prélevé me semble préférable.

Mais alors, de quel bois je me chauffe ?

Mon but dans cet article n’est pas d’empêcher les forgerons de forger ou de critiquer les joies des feux de camps :-), mais d’analyser l’intérêt ou pas d’encourager la filière bois – énergie.

Si vous utilisez déjà cette source de chaleur pour votre logement, vous pouvez vous questionner sur votre approvisionnement en bois (distance, mode de séchage…) et surtout sur l’efficacité de votre chaudière.

Si vous envisagez de rénover ou de construire un logement, la priorité sera de travailler sur l’isolation pour avoir le moins besoin possible de chauffage. Pourquoi ne pas utiliser pour ce faire de la laine de bois ? Pour le chauffage restant, qui devrait donc être très faible, il y a différentes solutions. Le solaire thermique peut être très performant pour l’eau chaude. On peut espérer aussi dans l’avenir une part grandissante de gaz naturel renouvelable (qui pose d’autres questions…) ou encore le développement de la géothermie.

Le bois – énergie a sans doute d’autres avantages, au-delà de l’aspect climatique. C’est par exemple une solution plutôt basse technologie et pouvant bénéficier à l’économie locale. Il n’y a pas de solution parfaite. À chacun de faire son arbitrage !

Ne me croyez pas !

Surtout, ne me croyez pas ! Forgez-vous votre propre opinion ! :-)

Pour ce faire, voici les liens (un peu dans le désordre…) vers les principales sources que j’ai consultées pour préparer cet article :

 

Crédit illustration : pixelbox