Dennis Meadows... au rapport !

Pour certaines personnes, le concept de collapsologie est sans doute récent. Pourtant la publication des « Limites à la croissance », un des ouvrages phare pour les collapsologues et autres transitioneurs, date déjà de 50 ans ! Le 1ᵉʳ mars 2022, France Culture dans son émission « De cause à effets » a eu la bonne idée d’inviter un de ses auteurs, Dennis Meadows, qui a aujourd’hui 80 ans. Ci-dessous une partie ce que j’ai retenu de cet échange. Mais comme l’émission est disponible sur leur site, prenez le temps de l’écouter. Il y en a pour moins d’une heure.

Un millénaire de croissance mondiale, population et PIB, données Nations Unies et Michael Kremer, MIT

Les débuts de la fin de la croissance ?

Cela est devenu un slogan dans la bouche de nombreux écologistes : « Il ne peut y avoir une croissance infinie dans un monde fini ». Un des ouvrages ayant le plus contribué à populariser cette idée est très certainement « Les Limites à la croissance », mieux connu sous le nom de « rapport Meadows », nom de famille de deux de ses coauteurs Dennis et Donella Meadows. Ces chercheurs du MIT étaient missionnés par le Club de Rome, un groupe de réflexion réunissant scientifiques, économistes, fonctionnaires et industriels de cinquante-deux pays. Cette recherche a été effectuée durant les fameuses « 30 Glorieuses » et il s’agissait de savoir si cette croissance exponentielle pouvait être durable. Une vieille question malthusienne, dira-t-on, mais étudiée avec une méthode plus scientifique, à savoir la dynamique des systèmes, qui modélise les principaux flux (démographie, énergie, ressources disponibles…) en prenant en compte les boucles de rétroactions les enchaînant, en pouvant entraîner accélérations, effets en cascade ou encore ruptures.

Toutes les prévisions sont fausses !

Comme Dennis Meadows a commencé à le rappeler, lors de la publication de leur rapport, ils imaginaient que cela allait provoquer un changement de comportements qui rendrait leurs prévisions fausses. C’est une des caractéristiques des prévisions d’être fausses, non seulement parce qu’elles sont basées sur des informations nécessairement incomplètes, mais parce que leur simple révélation change les choses. Si vous conduisez et que quelqu’un vous dit assez tôt que vous allez entrer en collision avec un obstacle, il y a de fortes chances pour que vous l’évitiez !

Malheureusement dans le cas de ce rapport et d’autres ouvrages tel le « Printemps silencieux » de Rachel Carson, force est de constater que la majorité de la population a fait la sourde oreille, et cela, malgré un nombre de lecteurs important. La prise de conscience collective est assez récente et reste peu suivie des actes. Pourtant, le rapport proposait treize scénarios de développement, dont certains permettaient une stabilisation de la situation sans risque d’effondrement. Et cela sans « en revenir à la bougie ». De toute façon, où trouver toute la cire nécessaire pour ces bougies ? :-)

Le long terme n’a pas cours !

Il évoque plusieurs raisons possibles à ce déni, qui sont bien connues par toute personne s’intéressant au sujet. La principale étant la contradiction entre les intérêts à court terme et long terme de chacun. Ainsi, même des politiques convaincus, se trouvent incapables de mettre en pratique des programmes adaptés, car ils auraient alors bien de mal à se faire (ré)élire, leur population ayant ce même dilemme entre leurs intérêts à court et long terme.

Il a fait écho aussi à la psychologie évolutionniste, dont j’ai déjà parlé sur ce blog, en prenant l’image de deux personnes menacées par un tigre. Celle absorbée par des questions de long terme sur la soutenabilité de son environnement finira dévorée, tandis que celle qui aura fui, en se concentrant sur les problèmes immédiats, pourra se sauver et transmettre son ADN. Individuellement, les court-termistes durent donc plus longtemps ! Collectivement, c’est sans doute l’inverse.

Savoir douter

De plus, par nature, la science affirme rarement que les choses sont certaines à 100 %. Le doute fait partie de son processus normal. Or, les politiques, comme la population, préfèrent les certitudes. Et ce doute méthodique donne de la matière aux lobbies et idéologues cherchant à décrédibiliser ces prévisions. D’une manière générale, là où les scientifiques sérieux se basent sur les faits pour créer/faire évoluer leurs théories, les quidams que nous sommes, comme leurs « représentants » vont au contraire chercher les faits validant leurs préjugés et croyances et ignorer ceux, les contrariant. C’est le bien connu biais de confirmation, qui concerne bien d’autres domaines.

De même, là où la recherche environnementale nécessite d’étudier les interconnexions entre les différents problèmes, nous avons tendance à vouloir régler les problèmes séparément, faute de pouvoir sans doute appréhender facilement cette complexité.

Dennis Meadows s’est aussi étonné du peu de scientifiques présents dans le congrès des USA, composé essentiellement d’avocats, selon lui plus habitués à étudier le passé, qu’à regarder vers l’avenir, pour tenter de s’y adapter. Il n’y a pas de jurisprudence pour la fin du monde ? :-)

Croissance verte, résilience et développement durable

Dennis Meadows a critiqué le concept de développement durable, car cette promesse de durabilité n’étant pas réaliste, elle ne peut que générer de la frustration. Il a également ironisé sur les adeptes de la « croissance verte », plus intéressés selon lui par la « croissance » que par la « verdure » :) Quant à la « décroissance », terme d’origine française, il critique son côté négatif et démobilisant. Il semble préférer le terme de résilience. Il faut selon lui plus généralement éviter les discours trop pessimistes, pour privilégier une écologie attirante, mettant en avant les côtés positifs et les opportunités d’un mode de vie plus sobre. Il a pris l’exemple d’une organisation japonaise, premièrement nommée Société de Décroissance, rebaptisée Institut du Bonheur Humain. Effectivement, c’est sans doute plus vendeur :)

Du local au global

Suite à un extrait d’un discours de Jean-Marc Jancovici, expliquant qu’un des problèmes du rapport Meadows était de ne pas avoir de « client », faut de « chef du monde » pour prendre les décisions adaptées, il a proposé une distinction intéressante entre les problèmes universels, qui bien que pouvant se retrouver en différents lieux (ex : pollution d’une rivière) peuvent être traités localement et les problèmes mondiaux, qui ne peuvent par nature être traités qu’à un niveau global. Les seconds se révèlent souvent très frustrants pour les personnes s’y attaquant, car les résultats ne sont pas à portée de main. L’occasion pour lui de rappeler que les changements peuvent et doivent se faire à différents niveaux : individuel, familial, régional… international. Vous ne pouvez choisir individuellement de privilégier une solution de transport public n’existant pas…

Populismes et capitalismes

En bon états-unien, il n’a pas critiqué directement le capitalisme en tant que tel, qui peut prendre plusieurs formes (USA, Danemark, etc.). Selon lui, si toutes les personnes sont sincèrement soucieuses de l’environnement, le capitalisme peut convenir.

Au sujet des populismes, il a expliqué que si dans le cas d’une croissance infinie, les riches pouvaient continuer à s’enrichir s’en empiéter sur les autres, dans le cas d’une croissance contrainte, cela ne peut se faire qu’au détriment des classes moyennes, c’est qui est un bon moyen de favoriser le populisme. Selon lui, les populistes sont encore moins capables que les autres politiques d’apporter des solutions viables, de par leur goût pour les solutions simplistes.

Quant aux climatosceptiques, selon lui, nombreux n’ignorent pas vraiment les problèmes environnementaux, mais se trouvant favorisés par la situation actuelle, ils ne souhaitent pas la voir évoluer, et n’hésitent pas à mentir pour ce faire.

Gardons espoir ?

Quant à savoir, si pour lui, il y a matière à espérer, il a dit trouver le terme « espoir » ambigu, car il faut de nouveau savoir à quel niveau nous parlons. Au niveau individuel, oui, pour la civilisation, non. Symptôme d’un autre biais bien connu, le biais d’optimisme ?

Pour faire écho à la psychologie évolutionniste, il a indiqué qu’un changement ne pourra venir que par l’éducation et la culture, car une adaptation génétique prendrait plusieurs millénaires.

La solution passera par une meilleure éducation, des comportements moins frénétiques, une recherche d’équité, d’équilibre psychique comme physique…

Une piste est alors d’interpeller les parents qui sont naturellement inquiets pour l’avenir de leurs enfants et aussi les enseignants qui ont la capacité de toucher un large public.

Pour aller plus loin

Si vous ne l’avez pas encore lu, vous pourrez sans doute trouver « Les Limites à la croissance » d’occasion sur des sites de petites annonces ou encore dans votre bibliothèque. Mais sachez qu’une nouvelle édition a été publiée en 2017 par les éditions Rue de l’échiquier, au format « livre de poche ». Avec ses 488 pages, il faudra tout de même une grande poche !

Et je vous redonne le lien vers l’interview de Dennis Meadows sur France Culture.

 

Illustration : Qwerty12345, CC BY-SA 3.0, via Wikimedia Commons